Aux premiers instants d'une composition
- Jeremy Rossier
- 13 juin
- 3 min de lecture
Quand on m’a proposé de composer la musique d’un nouveau spectacle basé sur Novecento d’Alessandro Baricco, j’ai tout de suite dit oui. Le projet m’a été présenté juste après L’ombre d’une fausse note, et il s’inscrivait dans la saison à venir. Je savais que ce serait une aventure particulière, parce que le style attendu allait m’emmener sur des terrains moins familiers : le jazz, et surtout l’improvisation, un langage que je connais peu. Mais ce défi, justement, m’attirait.

Lire Baricco comme on lit une partition
La première chose que j’ai faite, c’est lire le livre. Il se lit vite, et surtout, il se relit. Chaque lecture fait émerger de nouveaux sous-entendus, de nouveaux rythmes. Baricco a écrit ce texte comme un long souffle : un monologue très théâtral, rempli de didascalies. Certaines indiquent même précisément des passages musicaux : on y sent l’envie de laisser la musique occuper l’espace, même entre les lignes.
Assez vite, j’ai découpé le texte en scènes et en séquences musicales. Ce travail m’a permis de poser des jalons : ici, un thème principal ; là, une transition ; ailleurs, une respiration. La compagnie Nave Va, qui avait déjà été pressentie pour interpréter la musique, a reçu ce canevas. Aujourd’hui, nous avançons ensemble sur les différents morceaux, chacun avec sa couleur, son rôle dans le récit.
Composer dans un langage nouveau
Je suis entré dans ce projet avec beaucoup de respect pour le style jazz, mais aussi avec une certaine prudence. Le jazz implique souvent une grande part d’improvisation, et ce n’est pas ma manière habituelle de composer.
La première répétition avec les musiciens a été déterminante. J’ai apporté deux petits thèmes très simples, presque esquissés. Nous les avons joués ensemble, ils ont improvisé autour, et j’ai observé. Leur façon de travailler, d’alterner les structures, de déconstruire les motifs pour les reconstruire autrement, m’a ouvert une nouvelle porte. Depuis, je construis mes propositions en pensant à leur manière d’improviser. J’adapte mon écriture à leur langage. Rien n’est encore figé, mais chaque rencontre ajoute une couche. C’est une manière de travailler assez nouvelle pour moi, et très stimulante.
Chercher au piano l’émergence du personnage
Mon outil principal reste le piano. Pas par virtuosité - je ne suis pas du tout pianiste - mais parce que c’est l’instrument de Novecento. Ce personnage, imaginaire, aurait appris seul à jouer du piano, en restant toute sa vie sur un bateau. Il n’a jamais mis pied à terre, mais son jeu est décrit comme fulgurant, unique.
Quand je suis devant le piano, je ne cherche pas à l’imiter. Plutôt à m’en inspirer. Je me mets dans la peau de ce gamin qui découvre un clavier sans mode d’emploi. J’essaie de faire émerger des idées simples, des bribes de thèmes, des atmosphères. Et puis je les transmets au groupe, pour voir ce qu’ils en font.
Composer avec le doute… et l’envie
Comme dans tout début de projet, il y a des moments de vertige. Le calendrier avance, le spectacle est déjà annoncé, et tout est encore à construire. Mais j’ai appris à faire avec cette forme de lenteur au début : trois heures de travail pour poser quelques mesures seulement, ce n’est pas rare. Ce qui compte, c’est que le mouvement soit enclenché. Que la matière commence à apparaître.
Ce projet m’effraie un peu, mais dans le bon sens du terme. Parce qu’il m’oblige à sortir de mes habitudes, à écouter d’autres voix. Et parce qu’il me pousse à créer un langage commun entre moi, le texte de Baricco, et les musiciens de la compagnie Nave Va.
Les dates : 28, 29, 30 et 31 août et le 14 septembre au Chantier Naval à Neuchâtel.
